TRIBUNE : Les Séniors privés de retraite – nous ne serons plus invisibles

Le mercredi 4 juin, lors du journal de 20h de TF1, j'ai été invité à témoigner sur la proposition de loi sur le CDI senior, votée par le Sénat. Mais, comme trop souvent, mes propos ont été réduits à quelques secondes, édulcorant la réalité de ce que vivent des milliers de seniors en France: l'exclusion, la précarité et l'humiliation de devoir survivre au RSA après une vie entière de travail.

Aujourd'hui, cette tribune veut porter la voix de tous ceux qui, comme moi, ont cotisé bien au-delà du nécessaire - pour ma part, 175 trimestres alors qu'il n'en fallait que 170 – et qui, à cause du report de l'âge légal de la retraite, se retrouvent piégés. Nous ne pouvons plus travailler, car le marché de l'emploi ferme brutalement ses portes aux seniors. Nous n'avons pas droit à la retraite, car les règles ont changé en cours de route. Nous sommes donc condamnés à l'attente, à la précarité, à l'injustice.

Retraites : les oubliés de la réforme, trop vieux pour travailler, trop jeunes pour partir Par Ludovic Loudière, pour tous les seniors privés de retraite (association senior-actif)

Publié le 5 juin 2025

Alors que l'Assemblée nationale s'apprête à examiner la proposition de loi sur le « CDI senior », récemment votée par le Sénat, une vérité crue demeure absente du débat public : celle des milliers de femmes et d'hommes de plus de 60 ans, précarisés, invisibilisés, floués par les réformes successives. Et plus profondément encore : stigmatisés par une société qui les considère désormais comme « inutiles ».

Ils ont travaillé toute leur vie. Ils ont cotisé bien au-delà du seuil requis — parfois 175 trimestres quand 170 suffisaient — et pourtant, ils ne peuvent toujours pas partir à la retraite. Pris au piège d'un âge légal repoussé, exclus d'un marché du travail qui les rejette, ils survivent, pour nombre d'entre eux, au RSA ou grâce aux minima sociaux. À la fatigue s'ajoute l'humiliation. La réforme leur a tourné le dos.

Le constat est implacable :

Après 55 ans, le taux de chômage est deux fois supérieur à la moyenne nationale.

Moins de 10 % des demandeurs d'emploi seniors retrouvent un CDI avant 60 ans.

Le nombre de seniors vivant d'allocations de solidarité a doublé en dix ans.

Les embauches en CDI senior restent, malgré les textes, marginales.

Ce que révèle ce tableau, c'est aussi la montée silencieuse d'un âgisme systémique. Dans les entreprises, sur les plateformes de recrutement, dans les discours mêmes des institutions, les séniors sont souvent considérés comme un poids, un risque, une anomalie statistique. L'expérience devient suspecte, trop chère, difficile à manager. La loyauté, un fardeau. Le sénior, une variable d'ajustement.

Nous ne parlons pas ici d'une minorité marginale, mais d'une génération entière prise dans un étau. Trop âgée pour être considérée comme « employable », trop jeune pour liquider ses droits à la retraite. Et surtout : ignorée, voire méprisée, par les dispositifs censés garantir la justice sociale.

On nous parle aujourd'hui de mesures incitatives. On agite le CDI senior comme une solution miracle. Mais de quelle solution parle-t-on, lorsque les employeurs ferment la porte aux plus de 58 ans avant même l'entretien ? Quand les perspectives s'effondrent, que les réseaux professionnels se tarissent, que la confiance s'érode ? Ces rustines ne font qu'ajouter de l'amertume au silence.

Et plus grave encore : en refusant à ces femmes et ces hommes la retraite qu'ils ont pourtant gagnée, on les fait basculer d'un statut de citoyens honorés à celui de bénéficiaires stigmatisés. Le retraité, autrefois symbole d'une vie de travail accomplie, devient un « assisté ». Le droit se transforme en faveur. L'honneur, en gêne. Transformer un retraité légitime en Rmiste invisible est une injustice sociale et symbolique majeure.

Il est temps d'en finir avec cette hypocrisie. Il est temps de dire haut et fort qu'une immense part des seniors exclus du marché du travail n'a plus d'autre horizon que celui d'une retraite digne, méritée, légitime. Car derrière chaque dossier rejeté, il y a une vie, un parcours, une contribution à la richesse collective du pays.

Nous ne demandons pas la charité. Nous réclamons la justice. Le respect des droits sociaux. La reconnaissance de décennies de labeur. Nous voulons être considérés, pas assistés. Entendus, pas effacés.

Nous appelons les responsables politiques à ouvrir les yeux sur ces « recalés de la réforme ». À mettre en œuvre un vrai filet de sécurité. À restaurer le droit effectif à la retraite pour ceux qui ont déjà donné. À refuser l'humiliation d'une génération entière, renvoyée à l'inutilité après avoir été utile.

Ce combat est celui de la dignité. Ce combat est celui contre l'âgisme, contre l'oubli, contre la relégation. Il est temps d'en faire, enfin, un débat de société.

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